C’était en 2016. L’envie d’en apprendre plus sur l’univers du Yoga m’a poussé à m’inscrire, à ce que l’on appelle le TTC (teacher training course), une formation qualifiante en plein cœur d’un ashram, au centre de la France. Cette expérience m’a profondément enrichie. Elle m’a donné de nombreux enseignements, sur le Yoga, mais surtout sur moi même. Ce fut quatre semaines bouleversantes que je n’oublierai jamais. Il me tenait à cœur de le raconter ici, pour vous donner un aperçu, et peut être aussi vous donner l’envie de vivre cette transformation, aussi miraculeuse que douloureuse.
« Un gramme de pratique vaut des tonnes de théorie. »
J’attendais le jour de mon départ avec grande impatience. J’étais inscrite depuis plusieurs mois, je m’étais préparé avec des heures de pratiques personnelles, j’avais lu les livres comme demandé, j’avais acheté tout le nécessaire pour ces quatre semaines d’immersion. Le jour J, c’était comme un départ en vacances ! J’allais me retrouver au calme dans la nature, à faire des asanas et découvrir des personnes qui avaient la même passion. J’allais être enseignée par des érudits, des personnes fascinantes qui allaient m’apprendre d’avantage. Pourtant, fin mai, le jour où ma mère m’a déposé sur le parking de l’ashram, j’ai senti quelque unes de ces illusions, doucement s’évaporer.
J’étais dans les premières à être arrivé. L’ashram était presque désert, j’avançais à tâtons avec ma grosse valise jusqu’à l’accueil. On me remet les clefs de ma chambre collective, qui se trouve au premier étage. Il y avait 6 lits dans cette chambre, et deux de mes futures colocataires étaient déjà présente. Le premier contact est assez cordial, j’ai la chance de pouvoir encore choisir un lit. Il y a deux petites armoires pour 6, et la salle de bain commune se trouve de l’autre côté du couloir. Plusieurs douches individuelles, plusieurs toilettes, deux lavabos. Je me sens déjà perdue, seule, malgré le monde qui arrive petit à petit. Les 5 autres filles qui partagent ma chambre sont toute très différentes de moi, à croire qu’ils l’ont voulu, faire cohabiter des gens qui n’ont rien en commun dans la même chambre ! Je me sens frustrée.
Cette première journée est centrée sur la rencontre et l’accueil. De l’autre côté de notre bâtiment où se trouvent les chambres, quelques mètres plus loin se trouve une grande salle, avec parquet et poutres en bois, c’est ici que nous nous retrouveront plusieurs fois par jour pour les enseignements, la pratique, les méditations… etc. On s’installe ici, assis sur nos coussins. Face à nous, trône un autel avec des divinités hindoues. Et nos professeurs, tous de orange vêtus. Nous sommes environ, soixante quatre personnes. Seuls 3 ou 4 hommes sont présents. A l’époque j’ai 23 ans, je suis la plus jeune de tous. Nous devons passer un par un derrière un micro pour nous présenter au groupe. L’enfer pour moi ! Puis, on nous explique le fonctionnement du site, on nous remet nos manuels et nos tenues individuelles. Deux pantalons blancs et deux t-shirt jaunes. Nous avons pour consigne de les porter en permanence, en dehors des repas.
On nous attribue ensuite à chacun, notre tâche pour le Karma Yoga. Le Karma Yoga, est une pratique qui consiste en des actes désintéressés, pour le service aux autres et ce qui permet le bon fonctionnement de l’ashram. Nous sommes repartis dans des groupes pour les différentes tâches. La préparation des repas, le réveil, le nettoyage des chambres et des salles de bain, l’entretien des extérieurs, l’accueil et la bonne tenu de la boutique, etc… Pour moi et deux autres, ce sera la vaisselle du midi ! Bon, j’aurai espéré mieux, mais il y a sûrement pire.
Le premier jour.
5h30, deux étudiantes ont pour karma yoga de faire le tour de l’ashram extérieur et intérieur, passer dans tous les couloirs et d’agiter une cloche en guise de réveil. Nous avons 30 minutes à peine pour nous rendre à la première méditation. Je me lève péniblement, je cherche mes affaires dans l’obscurité, et je comprend vite que la seule salle de bain de l’étage est prise d’assaut ! Un brin de toilette rapide, je descend avec mon tapis sous le bras, mon coussin dans l’autre. Tout le monde se croise mais personne ne parle, il faut rester en silence. J’enfile mes baskets froides qui ont passés la nuit dehors, pas de chaussures à l’intérieur…Le jour n’est pas encore levé, je traverse le parc jusqu’à la grande salle, mon plaid sur les épaules. Voilà comment la première journée commence.
Toujours dans un silence religieux, chacun prend place dans les rangs parfaitement formés, seules quelques bougies disposées au sol nous éclairent. De 6h à 8h du matin, nous allons enchaîner chants, méditation, et conférence. Les professeurs installés devant nous, commencent à psalmodier des chants en sanskrits accompagnés d’un instrument particulier, j’apprendrai plus tard qu’il s’agit d’un harmonium. Les autres autour de moi semblent à l’aise, ils chantent en cœur, puis en suivant le rythme, commencent à taper dans les mains. Devant moi est posé un petit livre d’une vingtaine de pages, avec toute les paroles en sanskrit. Je cherche à quelle page on pourrait bien en être, mais j’ai l’impression de lire du chinois…Je me sens perdue, je ne comprend rien… Cette langue que je ne connais pas, ponctuée de « Vishnu », « Deva », « Ganesha », et autres noms inconnus… Je crois être transportée sur une autre planète !
De 8h à 10h, voici venues (enfin!) les cours d’asanas (postures) et de pranayama (respiration). Moi qui pensais avoir un bon niveau, bien que je sois dans les « meilleurs », le rythme est bien plus intense et soutenu qu’à la maison ! La séance commence encore par un Kirtan (chant sanskrit). Nous devons à la fois pratiquer, prendre des notes, suivre dans nos cahiers et nos livres… Je ressens la fatigue, ma concentration n’est pas constante. Pendant la relaxation finale, j’entends des respirations profondes voir des ronflements, et je lutte pour ne pas sombrer à mon tour. Nous finissons là encore, par des chants. 10H, il faut vite retourner dans nos chambres pour se changer, il est l’heure du premier repas de la journée. Vite, car nous n’avons qu’une heure pour ranger nos affaires, nous changer, faire la queue puis se servir, et manger. Le repas se fait dehors, sous une grande tente prévue à cet effet. En arrivant, il y a déjà plusieurs personnes réunis en ronde autour du buffet posé sur des tables. Ils se tiennent la main, et entament joyeusement un Kirtan. Un homme se retourne et me tend la main, pour que je puisse entrer dans le cercle. Timidement, je me joins à eux en chantonnant n’importe quoi… Je commence à me croire dans une secte, vont-ils chanter au nom de dieux hindous à chaque fois qu’ils vont commencer une activité ? Même avant de manger ? Me retrouver là à chanter devant les flageolets, les lentilles et les patates douces, mon idée d’une retraite de Yoga prend une autre tournure. Le prochain dîner est à 18h, alors je n’hésite pas à remplir mon plateau. Il y a plusieurs tables sous la tente, je cherche une place, ça grouille de monde autour de moi. Je remarque plein de têtes encore inconnues. En effet, l’ashram accueil des visiteurs et d’autres résidents même pendant la formation. On les reconnaît puisqu’ils n’ont pas d’uniforme.
A 11h, c’est l’heure pour tout le monde d’effectuer son Karma Yoga. Direction pour moi l’arrière cuisine, pour la plonge. On m’explique brièvement les règles et les tâches à effectuer, je suis accompagnée de deux autres femmes en formation, et deux autres bénévoles. Imaginez vous le travail à accomplir, pour un peu moins d’une centaines de personnes venus manger, les plateaux, les assiettes, les verres et les couverts… Des poubelles et des bacs de lavages se trouvent dehors (un enfer, les jours de pluie!). Nous utilisons aussi des machines à l’intérieur pour le lavage et le séchage, bien que pour finir, il faut tout essuyer à la main. En ce premier jour, je me rend compte de l’ampleur de la tâche, du rythme qui n’a pas faibli depuis 6h du matin, et la fatigue de plus en plus présente. Voilà déjà midi, il faut vite se préparer et reprendre ses affaires pour retourner dans la grande salle, un cours de chant (encore) nous attend, ainsi que l’étude de texte (comme la Bhagavad Gita). Aucun retard n’est admis, je me surprends à courir, monter et descendre les escaliers 4 à 4. Pendant deux heures, j’essaie de tenir la cadence, me concentrer, toujours prendre des notes, ne rien oublier… Je remarque toute ces bouches qui baillent autour de moi, des yeux mi clos, et certains qui commencent doucement à se rapprocher du mur pour enfin pouvoir soulager leur dos. Les professeurs restent impassibles, nous demandent de participer et d’être constamment attentif.
14h, voici la conférence principale de la journée, à tenir pendant deux heures. Toujours en commençant et en finissant par des Kirtans. Je commence à comprendre que c’est un vrai rituel, avant et après toute chose. On nous annonce également, que nous devrons faire des résumés chaque jour des conférences et des enseignements, et que nous seront noté en fin de formation. Il y aura en plus un examen de plusieurs heures, où seulement deux mauvaises réponses seront acceptées. Nous devront également présenter un cours de Yoga qui sera lui aussi prit en compte dans la note finale. L’exigence est déjà maximale en ce premier jour, je sens la pression pour la réussite de cette formation, je sens aussi les forces de mon cerveau et de mon corps m’abandonner. 16H, Nous voilà repartis pour deux heures de pratique d’asanas / respiration / relaxation / kirtans…
A 18h, voici le deuxième et dernier repas de la journée. Le soir, pas de karma yoga, la vaisselle et les autres tâches sont attribués aux visiteurs de l’ashram. Je suis déjà lessivée et je peine à prendre mes marques. Le repas est loin d’être un moment de repos, une centaine de personnes réunis sous une tente, c’est comme un hall de gare, une cacophonie assourdissante. Je profite d’une vingtaines de minutes après le repas pour ranger mes affaires, me changer encore une fois pour la fin de la journée, et m’allonger un peu dans mon lit. 20H, dernier rendez vous dans la grande salle, la journée se termine comme elle a commencé, au programme : méditation, chants (nombreux, encore et toujours), et conférence (Satsang). La plupart du temps, un des professeurs se chargeait des discours, mais environ deux ou trois fois par semaine, un intervenant spécialisé nous rendait visite pour animer le Satsang. Nous avons eu des sujets vraiment intéressants avec des personnes passionnés pour nous en parler, comme le domaine du Feng shui, de l’électromagnétisme, de l’eau, etc…
22h, nous pouvons enfin regagner nos chambres, épuisés. Malheur à ceux qui, comme moi, avait choisi (par souci d’économies) de dormir dans un dortoir. Nous n’avons pas tous le même rythme, nous n’avons pas tous les même besoin de silence, d’obscurité… Vous voyez où je veux en venir. Je me plongeais sous les draps, complètement déconcertée, en priant pour que les 29 prochains jours passent le plus rapidement possible.
(J’aurai dû me douter, que ma prière aurait été plus efficace si je l’avais formulée en sanskrit…)
Merci aux élèves qui ont immortalisé ces moments.
A suivre…